
L'âge de l'affirmation mais aussi de la remise en question. Passé, présent et futur se mêlent pour une tambouille estivale qui s'annonce une fois de plus aussi prolifique qu'orgasmique. Dour a évolué, c'est une certitude. Loin sont les premières années, où le nombre de festivaliers se limitait à 1500 personnes. Pour autant le festival a su rester authentique et brut, tout en ayant une fréquentation qui dépasse les 240 000 personnes par édition.
Alors, comment se réinventer chaque année, pour continuer de donner du plaisir à tous ces festivaliers qui se donnent rendez-vous depuis presque autant d'années sur le Plaine de la Machine de Feu, mais aussi pour les nouveaux ? Tendance versus Authenticité ? Expérience premium ou standard ? Telle est la question comme dirait l'autre.
Et qui de mieux pour y répondre que le duo aux multiples casquettes : Sylvie Denoncin, présidente de l'association 3D et Mathieu Fonsny, directeur Artistique du festival, également programmateur du club le Cadran à Liège et dj/producteur (a.k.a Surfing Leons).
Salut Sylvie et Mathieu ! Comment vous définiriez-vous au sein de l'organisation du Festival de Dour ?
Sylvie: Je suis la présidente de l'a.s.b.l. 3D (Dour Développement Durable), qui est le fruit du travail d'une poignée de volontaires historiques du festival. Je travaille à la sensibilisation des festivaliers sur le développement durable et la mobilité.
Mathieu: Je suis un des deux programmateurs (depuis plus de 10 ans) de l'entièreté de l'affiche du festival (depuis 5 ans) avec Alex Stevens. Notre job ne se limite pas à notre titre mais se présente plus comme de la direction artistique, puisque nous avons notre mot à dire sur: l'implantation des scènes, la communication sur le festival, le graphisme, la coordination des artistes pour éviter les clash et également des scènes, pour qu'elles soient dégorgées et que le public se les approprie. On fait le lien avec les équipes de terrain pour éviter par exemple un groupe pop à côté d'une scène métal, qui ne cohabiteraient pas. Donc c'est pas que de la programmation.
Cette année 230 groupes et artistes sont programmés sur 7 scènes, du reggae au métal en passant par le Hip-Hop ou à la Drum & Bass. De la techno, du rock bien sûr! Dour c'est ça: de l'éclectisme et de la diversité. Donc on essaye de découvrir au cours de l'année les groupes qui pourraient être ceux de demain et de les proposer aux festivaliers avec une cohérence entre grands noms et moins grands, du belge et de l'international.
Cette année est un peu spéciale, parce que les 30 ans. Pouvez-vous nous donner quelques nouveautés ?
Mathieu: En terme de programmation, il va y avoir des grands moments comme l'alliance artistique GANGUE qui s'est fait autour de la Fine Equipe, Haring et de Fulgeance. C'est à dire qu'on les a mis ensemble dans un studio pour un show exclusif à Dour, Marsatac et Nordic Impact. Ça sera mercredi avant Action Bronson à la Boombox.
Une autre nouveauté, c'est la grande scène (la Last Arena) qui ne sera pas ouverte le premier jour comme habituellement au profit de tout les autres chapiteaux. Ce qui veut dire 5 jours de Balzaal, 5 jours de Boombox, 5 jours de Labo etc... Au lieu de rassembler tout le monde sur la même scène, on propose cette année une scène autour de Diplo, une autre plus urbaine avec Action Bronson et Dj Premier, mais aussi des mélanges détonnants avec Selah Sue, Modeselektor, John Hopkins et une soirée autour du label DeeWee qui est le label de 2 Many DJ's.
La Drum & Bass n'aura plus qu'un jour dédiée sur l'Elektropedia Redbull, mais sera programmée tout les jours sous les chapiteaux avec des gros live comme Camo & Krooked. Ce qui represente un gros changement puisque la techno sera programmée 3 jours au lieu de 2.
On est très contents d'avoir des grands artistes comme Tyler the Creator, The Chemical Brothers ou encore Alt-J qui annonce des très très grands rassemblements autour de la Last Arena. Dour est cool pour se perdre dans les dédales du festival et faire des découvertes mais c'est aussi sympa de pouvoir se rassembler sur des noms fédérateurs.
Hors programmation, un autre gros changement se fera sur l'implantation du terrain. Toutes les scènes vont changer. Pour les lecteurs habitués à Dour, qui pensent connaitre le festival sur le bout des doigts, préparez-vous à du gros changement. Les noms de scène restent les mêmes mais seront à d'autres endroits.
Sylvie: Du côté propreté, la politique de traitement des déchets et de sensibilisation des festivaliers ont été revu. Le système d'éco-change de gobelet a changé puisque certains festivaliers vidaient les poubelles d'eco-cup pour aller les échanger aux green corners et donc boire à l'œil. Ce qui n'a aucun intérêt d'un point de vue environnemental. Et il y aura plus de zones de dépôt volontaires des poubelles. Cette année des green coins (monnaie virtuelle) seront échangés aux green corners et qui pourront être utilisés au camping shop, pour acheter des produits d'hygiène entre autres. Il y aura également des zones pique-nique; des cendriers géants en bois de recup"... Tout ceci dans le but d'améliorer les conditions de vie au festival de Dour. Petit scoop: le projet "Green Agora"; parce qu'on l'a pas encore annoncé très officiellement. C'est une zone dédiée au développement durable pour remplacer le village associatif.
Il y aura aussi aussi plus de zones de détentes et culturelles: le Rockamadour (un espace de concert intimiste), le Roof (un bar à vue panoramique), la zone relax (espace de détente pour des experiences culinaires) et la Roue de Feu (une sculpture de métal).
Comment gérez-vous la programmation d'année en année ?
Mathieu: A chaud, directement après le festival avec Alex, on met en commun nos notes qu'on s'est fait pendant le festival en se baladant pour aller voir un maximum de concerts. Pour voir ce qui a marché ou pas, prendre la température des festivaliers, est-ce qu'il faut à certaines heures des groupes plus énervés ou plus calmes? Est-ce que ça a marché si on a proposé de la musique africaine? Ou est-ce que les festivaliers ont encore envie de Drum&Bass le dernier jour? Donc on pose toutes ces questions sans parler de groupe spécifiquement mais plus d'ambiance et de ressentis.
Fin août début septembre, quand on se se revoit, avant même de parler de groupe précis, on prend une feuille blanche et on essaye de parler de style et d'ambiance. Est-ce qu'on veut encore réouvrir les 5 chapiteaux le mercredi ou juste la main stage? Maintenir les scènes un peu plus tard? D'expérimenter de nouveaux sons ou aller plus loin dans des styles qui ont bien marchés?
Seulement après commence le travail de négociation, où on va vers les agents et les artistes pour essayer de les convaincre de venir sur le festival.
https://www.youtube.com/watch?v=k6s3mzkSo_Y&feature=youtu.be
C'est encore compliqué de booker des artistes quand on s'appelle Dour?
Mathieu: Pour les artistes internationaux, il y a toujours une contrainte de "géolocalisation" au moment du festival. A savoir: est ce qu'ils sont dans la zone Europe mi-juillet pour les faire venir?
Après il y a effectivement une négociation financière sur les cachets. On n'a pas pour habitude de péter les plombs niveau prix. Parce que la tête d'affiche de Dour, c'est le festival lui-même. Les gens viennent pour l'expérience Dour et pas que pour un seul nom. Donc on ne va pas exagérer la dessus puisqu'on en a pas besoin. Les festivaliers de Dour nous font confiance pour découvrir beaucoup de choses.
La dernière contrainte, est de savoir exactement ce qu'on veut en terme de planning. On veut être sûrs de mettre le bon groupe au bon endroit au bon moment.
Est ce qu'il y a des booking de dernière minute ?
Mathieu: La concurrence étant de plus en plus rude avec les autres festivals, donc tout le monde s'y prend d'autant plus tôt. D'un côté c'est chouette parce qu'on finit vite mais c'est aussi une contrainte parce que si on a envie de faire un choix de dernière minute, il n'y a souvent plus la place dans le planning ni de disponibilité des artistes. Mais on essaie de se garder des cases libres pour les coups de coeur de dernière minute ou un artiste qui change finalement d'avis pour venir jouer très tard.
On a aussi les annulations. Pour l'instant on touche du bois, seul Wizkid a annulé, remplacé par Davido sur la main stage. Mais on garde toujours des idées en backup au cas où. Comme pour Solange en 2017, qui a annulé à la dernière minute mais on a booké Gucci Mane à la place.
Mais effectivement, c'est jamais vraiment fini...
Pour autant c'est plus facile de convaincre des artistes qu'il y a 15 ans?
Mathieu: Oui et non, parce qu'il faut se réinventer chaque année. Ne pas dormir sur ses acquis. C'est vrai que nos propositions sont certainement plus vite analysées parce que les artistes sont déjà venus ou ont entendu parler de Dour. Mais si on les place mal, il y a un risque aussi. Ca peut aller très vite, parce que le festival à une certaine visibilité.
Chaque année on donne un point d'honneur à défendre le festival. C'est d'ailleurs pour ça que je fais une interview avec le Limonadier aujourd'hui, puisque nous ne faisons pas de conférence de presse pour en parler. On prend le temps d'expliquer notre travail à chaque journaliste. Principe qu'on adopte aussi avec les artistes. Parce qu'on veut les convaincre qu'on a trouvé pour eux le meilleur spot au meilleur moment.
Quand vous regardez votre programmation vous en pensez quoi ?
Mathieu: Je suis assez satisfait de l'ensemble, puisque je trouve qu'il y a une logique dans ce qu'on a voulu faire avec les différentes ambiances, les différentes soirées. Personnellement, j'aime bien le Labo le dimanche, avec toute une programmation très axé sur le Jazz et la nouvelle Musique du Monde. Je suis content d'avoir bien représenté la scène belge (plus d'une quarantaine). Je suis très content d'avoir Honey Dijon, qui était sous un chapiteau et qu'on a déplacé à l'Elektropedia en open air, parce qu'on mise vraiment sur elle.
Pour les années futures, quelles sont les améliorations que vous voulez apporter au festival ?
Mathieu: Grâce au voyage, on se nourrit de tout ce qu'on voit, de tout ce qu'on entend ou respire. Cette année comme les années prochaines on essaiera de faire un effort sur la nourriture. C'est quelque chose qui nous tient à coeur. D'autant plus qu'on est dans une époque où les festivaliers en ont marre de mal manger, ou il y a une attention faite à l'écologie et au confort pendant le festival d'où le Green Camping depuis quelques années. Qui a été un grand succès l'année passée et qui a été agrandi cette année. (Déjà sold out depuis 2 mois). On a fait aussi des efforts pour améliorer les conditions d'accueil des festivaliers ainsi que pour la décoration des terrains.
Sylvie: Justement le Green Camping n'est finalement pas si nouveau. Puisqu'il y a 13 ans, on avait déjà essayé. On a repris l'idée parce que l'offre intéresse des gens prêts à payer pour vivre les 5 jours dans les meilleures conditions. L'année dernière, on a proposé des apéro gratuits avec des produits locaux, des cours de yoga, un espace sauna. Ça a eu un tel succès, que les gens nous ont demandé pourquoi on ne rend pas le camping normal aussi propre, ce qui est finalement principalement du ressort du festivalier. Donc on sent une envie d'un festival propre et confortable et en même temps de festivités sans se prendre la tête. Et c'est dans cette intervalle qu'on intervient pour rendre l'expérience possible.
Mathieu: On a vraiment envie de remettre au centre du festival, le festivalier lui-même. Que le confort soit meilleur. Le camping ne doit pas imposer de la mauvaise nourriture, une mauvaise hygiène.
Concernant la programmation, on est constamment dedans parce qu'on voit beaucoup de concert chaque semaine. Donc c'est notre travail commun chaque année depuis 30 ans. Par contre le confort, l'expérience, l'accueil du festivalier constituent une réelle préoccupation.
Est-ce que justement vous vous inspirez d'autres festivals comme chez les voisins flamands (Paradise City, Horst, We can dance...) à ce sujet ?
Sylvie: Oui effectivement, Dour s'inscrit dans un projet transfrontalier (France-Belgique) qui réunit 11 acteurs de la musique dont 4 festivals (Cabaret Vert, Dour, Ieper et Bos!). L'idée étant d'avoir des actions similaires et d'apporter de la nouveauté aux festivaliers. Au niveau de la nourriture, on proposera des salad bars, des stands de smoothies, des produits vegan; avec plus de visibilité et de communication de la part du festival.
Mathieu: Le Paradise City est un très bon exemple. L'expérience est géniale, toute la scénographie est en bois, les toilettes sont sèches, on y mange très bien. Et même si l'affluence n'est pas la même, il est quand même possible d'apporter ce genre de touche à Dour. Bien sûr les gens voudront toujours manger des frites, on est en Belgique! Mais on peut aussi leur proposer autre chose. C'est pas parce qu'il y a des dizaines de milliers de personnes autour de grosses scènes, qu'on peut pas y apporter une déco, une programmation culturelle (comme au Horst Festival).
Cette vision de la programmation est clairement inspirante pour nous, et nous pousse à nous réinventer parce que c'est aussi ce que les festivaliers cherchent de plus en plus.
Sylvie: Comme chaque année, nous mettons une attention particulière à la scénographie globale et surtout au choix du mobilier pour vous accueillir. Sur le site, il y aura des bancs, des tables et différentes zones chill ainsi que des espaces aménagés sur les campings. Du matériel beau, fonctionnel mais surtout durable pour éviter au maximum tout gaspillage écologique !
Mathieu: Dour c'est pas juste des noms sur une affiche. C'est une communauté de gens différents qui viennent vivre ensemble pendant 5 jours. On partage ensemble une bière avec les festivaliers d'à coté. On échange nos plannings pour se laisser emmener sur une scène qu'on ne pensait pas visiter. Et c'est pour ça qu'on doit continuer de travailler pour que tout ça reste et s'accorde bien avec les nouvelles envies des festivaliers.
Quelle magnifique conclusion Mathieu ! Pour mettre un point final à cette interview, pourrais-tu me dire, si Dour était un cocktail, quel serait-il ?
Mathieu: Je dirais un Mojito, parce qu'il y a du sucre, du pétillant, de l'amertume, de l'exotisme, de la fraîcheur. Plein de chose différentes qui représentent bien Dour. C'est une boisson du soleil et c'est toujours mieux quand il y en a à Dour!