Presque tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les musiques électroniques (mais vous aviez la flemme de lire)
Entre la fin de carrière d’un Avicii qui fait la une de tous les news torchons de masse, et les plateaux House et Techno de qualité qui pullulent dans toute la France, on peut aujourd’hui le dire sans trop se mouiller : les musiques électroniques sont bien connues du grand public. Pour le meilleur, et pour le pire bien sûr. On ne va pas non plus vous citer tous “ceux dont il ne faut pas prononcer le nom”, on risquerait d’être mal référencé 😉 . Mais celles-ci n’en restent pas moins un ensemble de courants musicaux difficilement circonstanciés – et circonstanciables (précisons que ce mot vient tout juste d’être inventé) – aux propriétés et aux appellations pour le moins obscures.
Il semble au fil du temps que les divers genres contenus sous le terme fourre-tout de « musiques électroniques » se soient mélangés les uns aux autres – et ce de manière inextricable. Pour comprendre la recette de cette tambouille pour le moins bizarroïde, il faut revenir aux sources de ce qui est devenu au fil du temps une véritable lame de fond musicale.
Des premiers balbutiements …
L’erreur principale est de croire que toutes les musiques électroniques sont des dérivés de l’électro et/ou de la house. Elles sont tout d’abord le fruit d’expérimentations sonores réalisées par des pionniers que l’on pourrait qualifier de véritables « chimistes » de la musique. Les musiques électroniques avant d’être grand public étaient surtout l’apanage d’une élite d’amateurs mélomanes. Elles se démocratiseront par la suite grâce à l’accessibilité croissante aux technologies de production.
Le terme électronique apparaît à Cologne, à la fin des années 1950 et répond à un idéal : atteindre le contrôle absolu de tous les paramètres sonores via l’outil électronique. L’apparition puis la disparition de ce qu’on nommera « musique électroacoustique » enterre cette tentative. Elle finira pas fusionner avec une autre voie qui lui était pourtant antagoniste, la musique concrète de Pierre Schaeffer. Puis ce sera la débandade et le terme « électronique » sera accolé à de multiples genres musicaux tels que le jazz, le rock, etc. Et ce jusqu’à ce que survienne la définition d’une appellation « musiques électroniques » à part entière dans le courant des années 1990.
Les musiques électroniques étaient à leur début le fruit d’expérimentations sonores extrêmement diverses, comme l’illustre la bande son ci-dessous. Pierre Schaeffer y interroge la place de l’enregistrement dans la musique en se posant au bord d’un chemin de fer pour enregistrer les bruits de trains qui passent. Quel hipster ce Pierro !!
Autre point crucial dans le développement des musiques électroniques : l’enregistrement. Désormais, la représentation, autrement dit le « concert » n’est plus le seul moyen qu’a l’artiste de partager son œuvre. La fixation (sur CD, vinyls, MP3, etc) a, en outre, permis une plus large dissémination au sein de la population des influences musicales liées aux musiques électroniques. L’enregistrement ouvre également la voie à tout ce qui a trait au travail sur le son, permettant ainsi à l’auditeur de bénéficier d’une expérience unique et incomparable à celle vécue dans le cadre d’un « live ». Les musiques électroniques révolutionnent tant les manières d’écouter que de faire de la musique, notamment avec l’avènement dans les années 1980-2000 du « home-studio ».
Grâce à l’évolution des ordinateurs personnels, toujours plus petits et toujours plus puissants, mais également des logiciels devenus de plus en plus intuitifs et fonctionnels, n’importe qui peut – en apparence du moins – réaliser ses propres morceaux depuis son canapé… En n’oubliant pas de demander conseil à ses amis avant d’aller plus loin :
… à la consécration.
L’explosion des musiques électroniques, au sens le plus large du terme, a eu lieu principalement durant les années 1960/1970 et leurs appétences pour l’esthétique futuriste. À la convergence de technologies diverses et variées, dont l’indispensable apparition du synthétiseur (coucou Robert Moog), se situent de nouvelles voies qui vont systématiser par la suite des gestes et des formats inédits. Ceux-ci vont être dilués au sein d’une diversité d’expérimentations qui ont cours tant dans la dub, le jazz fusion, le krautrock — à l’origine du mouvement “Nu Wave”, symbolisé notamment par Kraftwerk, groupe précurseur dans l’utilisation de sonorités électroniques —, le rock progressif, l’ambiant, ou encore l’indus. Mais ce qui va propulser la musique électronique sur le devant de la scène, c’est le disco ! Petit exemple avec le grand Giorgio Moroder, auteur-compositeur-interprète de génie :
Mais c’est véritablement dans les années 1980 que les musiques électroniques vont avoir une existence propre. Ce mouvement naît d’une forte démocratisation des technologies, celles issues de la numérisation notamment. Et les musiques électroniques sont là encore au carrefour d’influences diverses. En Jamaïque, la musique va considérablement s’électroniser grâce au DJ Kool Herc qui organise des fêtes fréquentées par de nombreux DJs comme Africa Bambaataa, qui seront pionniers dans le développement des techniques de mix. Ceux-ci laissent également une large place à l’improvisation et c’est ainsi que se développe le rap. OKLMPTNP (aucalmemaispatropnonplus).
Si aux Etats-Unis on voit se développer la house et la techno de Detroit, l’Europe n’est pas en reste. Minimaliste, brute et robotique, l’EBM (Electronic Body Music) découle des influences conjuguées de Kraftwerk, du punk et de l’indus. Et bien qu’elle ne touche que des cercles restreints, elle déterminera de manière conséquente la techno européenne. L’Europe va être touchée de pleins fouet par la vague techno qui se développe principalement dans des centres urbains comme Londres, Bruxelles ou encore Berlin. Elle se développe dans un contexte social souvent difficile, conjuguant pauvreté et espoirs déçus face à un libéralisme qui se voulait plein de promesse.
Une figure devient dès lors incontournable, celle du Disc-Jockey (DJ). L’art du mix est prégnant dans l’univers des DJs, de même que l’aspect technologique et la dimension performentielle.
Le mix sans frontières.
Cet art du mix va donner naissance à de nombreuses hybridations. La house – dont le nom provient du Warehouse, club de Chicago où officiait le DJ Frankie Knuckles, va fusionner avec le rap, donnant ainsi la hip-house, mais aussi la deep house, l’acid-house en référence (très certainement) aux produits psychotropes que prenaient les danseurs…
Paradoxalement, la house ne rencontre de succès qu’outre-Atlantique, ce qui a permis notamment aux labels de ne verser aucune royalties aux artistes. À Detroit, friche industrielle notoire, naît la techno Detroit. Comme pour la house, le processus de production peut être caractérisé en trois temps : braconnage, détournement et réappropriation. Avec pour finalité, bien sûr, la performance live durant laquelle le public est une variable à part. La structure d’un morceau ne repose désormais plus exclusivement sur l’écrit mais sur des strates sonores successives et en dernière extrémité sur l’improvisation lors de « lives ». Il s’agit de stimuler les auditeurs, de les faire entrer dans une sorte de communion, le tout dans une situation de direct.
Construire une « house nation » est le rêve de tous les passionnés de musiques électroniques. Cela se matérialise notamment par l’organisation de rave, de Free ou encore de Block Party. En Allemagne, en Belgique puis en France vont se développer des sous-genres adaptés à ce type de réunion : la trance, l’indus, le new-beat, ou encore la drum and bass par exemple. Le mouvement House va quant à lui connaître un développement fulgurant dans les clubs londoniens, avant de créer de véritables événements dédiés : les warehouse parties. Ces dernières vont d’ailleurs très vite intégrer l’acid-house et la techno ; preuve en est, une fois de plus, que dans les musiques électroniques tous les éléments s’interpénètrent, le tout au service d’une convergence musicale. La France est plus lente à se mettre à la page au niveau des événements ; Tout débute avec le label Rave Age, autour du mouvement rave du fort de Champigny et aussi à Mozinor. Un mouvement qui s’étendra dans toute la France et qui ne cessera par la suite d’être entravé par les pouvoirs publics.
De Mozinor à la Concrète, il n’y a donc qu’un pas (de danse) et quelques coupes de t-shirts (quoi que…) :
Longue vie et prospérité !
Et aujourd’hui, quid de la musique électronique ? Ce mouvement a continué à faire énormément de petits. Cela est dû au fait que ce sont avant tout des musiques du métissage incluant des techniques de mix et de jeu avec le public. Les appellations évoluent donc sans cesse au fil de leur diffusion, au sein de sociétés et de cultures différentes. De la techno hardcore à la trap, en passant par l’électronica ou par la trance Goa, renommée psy trance, il y a en effet de quoi se perdre.
Mais ce qu’il est important de se rappeler, nous semble-t-il, c’est le caractère profondément social de ces musiques, qui naissent des frustrations d’une société à un moment donné, et qui continuent encore aujourd’hui à nous parler. Alors, plus important que de tenter d’appeler « un chat un chat », rappelons-nous que les musiques électroniques sont au « corner » de toutes les évolutions musicales qui ont cours actuellement. Qu’elles sont à la fois pointues et populaires, abouties mais aussi toujours inachevées, codifiées mais dans un même temps toujours expérimentales. Elles se développent en dedans et en dehors des circuits institutionnels avec et à la fois sans l’aide de la société de consommation dans laquelle nous évoluons tous. Les musiques électroniques font donc partie de notre histoire tout en constituant de nos jours une infime part de chacun d’entre nous…